Extrai:
… Tant que je l’ai ici, tout n’est pas fini… Je m’approche d’elle et je la regarde à chaque instant. Mais demain on l’emportera. Comment ferai-je tout seul ? Elle est en cet instant dans le salon, sur la table… on a mis l’une contre l’autre deux tables à jeu ; demain la bière sera là, toute blanche, en gros de Naples… Mais ce n’est pas cela !… Je marche, je marche et je veux comprendre, m’expliquer… Voilà déjà six heures que je cherche, et mes idées s’éparpillent. Je marche, je marche et c’est tout. Voyons, comment est-ce ? Je veux procéder par ordre (ah ! par ordre !…) Messieurs ! Vous voyez que je suis loin d’être un homme de lettres… mais je raconterai comme je comprends.
Tenez, elle venait au début chez moi, engager des effets à elle pour payer une annonce dans le Golos… Telle institutrice consentirait à voyager et à donner des leçons à domicile etc., etc. Les premiers temps, je ne la remarquais pas ; elle venait comme tant d’autres, voilà tout. Plus tard, je l’ai mieux vue. Elle était toute mince, blonde, pas bien grande ; elle avait des mouvements gênés devant moi, sans doute devant tous les étrangers ; moi, n’est-ce pas, j’étais avec elle comme avec tout le monde, avec ceux qui me traitent comme un homme et non comme un prêteur sur gages seulement. Quand je lui avais remis l’argent, elle faisait vite volte-face et se sauvait. Tout cela sans bruit. D’autres chicanent, implorent, se fâchent pour obtenir plus. Elle, jamais. Elle prenait ce qu’on lui donnait… Où en suis-je ? Oui, elle m’apportait d’étranges petits objets ou bijoux : des boucles d’oreilles en argent doré, un méchant petit médaillon, des choses à 20 kopeks. Elle savait que ça ne valait pas plus, mais je voyais à sa figure que c’était précieux pour elle. En effet, j’ai appris plus tard que c’était tout ce que papa et maman lui avaient laissé. Une seule fois, j’ai ri de ce qu’elle voulait engager : Jamais je ne ris, en général, avec les clients. Un ton de gentleman, des manières sévères, oui sévères, sévères ! Mais ce jour-là, elle s’était avisée de m’apporter une vraie guenille, ce qui restait d’une pelisse en peaux de lièvres… Ç’a été plus fort que moi, je l’ai plaisantée. Dieu ! comme elle a rougi ! Ses yeux bleus, grands et pensifs, si doux à l’ordinaire, ont lancé des flammes. Mais elle n’a pas dit un mot. Elle a remballé sa « guenille » et s’en est allée. Ce n’est que ce jour-là que je la remarquai très particulièrement. Je pensai d’elle quelque chose… oui quelque chose. Ah oui ! qu’elle était terriblement jeune, jeune comme une enfant de quatorze ans : elle en avait seize en réalité. Du reste, non ! Ce n’est pas ça !… Le lendemain, elle revint. J’ai su plus tard qu’elle avait porté son reste de houppelande chez Dobronravov et Mayer, mais ceux-là ne prêtent que sur objets d’or et ne voulurent rien savoir. Une autre fois, je lui avais pris en nantissement un camée, une cochonnerie, et en étais resté tout étonné de moi-même. Moi je ne prête que sur bijoux d’or ou d’argent. Et j’avais accepté un camée ! C’était la seconde fois que je pensais à elle, je me le rappelle bien. Mais le lendemain de l’affaire de la houppelande, elle voulut engager un porte-cigare en ambre jaune, un objet d’amateur, mais sans valeur pour nous autres. Pour nous, or ou argent, ou rien ! Comme elle venait après la révolte de la veille, je la reçus très froidement, très sévèrement. Faible, je lui donnai tout de même 2 roubles, mais je lui dis, un peu fâché : « Ce n’est que pour vous que je fais ça. Allez voir si Moser vous donnera un kopek d’un pareil objet ! » Ce pour vous, je le soulignai particulièrement… J’étais plutôt irrité. Elle rougit en entendant ce pour vous, mais elle se tut, ne me jeta pas l’argent à la figure, le prit très bien, au contraire… Ah ! la pauvreté !… Elle rougit, mais rougit ! Je l’avais blessée. Quand elle fut partie, je me demandai : « Ça vaut-il 2 roubles la petite satisfaction que je viens d’avoir ? »
… Tant que je l’ai ici, tout n’est pas fini… Je m’approche d’elle et je la regarde à chaque instant. Mais demain on l’emportera. Comment ferai-je tout seul ? Elle est en cet instant dans le salon, sur la table… on a mis l’une contre l’autre deux tables à jeu ; demain la bière sera là, toute blanche, en gros de Naples… Mais ce n’est pas cela !… Je marche, je marche et je veux comprendre, m’expliquer… Voilà déjà six heures que je cherche, et mes idées s’éparpillent. Je marche, je marche et c’est tout. Voyons, comment est-ce ? Je veux procéder par ordre (ah ! par ordre !…) Messieurs ! Vous voyez que je suis loin d’être un homme de lettres… mais je raconterai comme je comprends.
Tenez, elle venait au début chez moi, engager des effets à elle pour payer une annonce dans le Golos… Telle institutrice consentirait à voyager et à donner des leçons à domicile etc., etc. Les premiers temps, je ne la remarquais pas ; elle venait comme tant d’autres, voilà tout. Plus tard, je l’ai mieux vue. Elle était toute mince, blonde, pas bien grande ; elle avait des mouvements gênés devant moi, sans doute devant tous les étrangers ; moi, n’est-ce pas, j’étais avec elle comme avec tout le monde, avec ceux qui me traitent comme un homme et non comme un prêteur sur gages seulement. Quand je lui avais remis l’argent, elle faisait vite volte-face et se sauvait. Tout cela sans bruit. D’autres chicanent, implorent, se fâchent pour obtenir plus. Elle, jamais. Elle prenait ce qu’on lui donnait… Où en suis-je ? Oui, elle m’apportait d’étranges petits objets ou bijoux : des boucles d’oreilles en argent doré, un méchant petit médaillon, des choses à 20 kopeks. Elle savait que ça ne valait pas plus, mais je voyais à sa figure que c’était précieux pour elle. En effet, j’ai appris plus tard que c’était tout ce que papa et maman lui avaient laissé. Une seule fois, j’ai ri de ce qu’elle voulait engager : Jamais je ne ris, en général, avec les clients. Un ton de gentleman, des manières sévères, oui sévères, sévères ! Mais ce jour-là, elle s’était avisée de m’apporter une vraie guenille, ce qui restait d’une pelisse en peaux de lièvres… Ç’a été plus fort que moi, je l’ai plaisantée. Dieu ! comme elle a rougi ! Ses yeux bleus, grands et pensifs, si doux à l’ordinaire, ont lancé des flammes. Mais elle n’a pas dit un mot. Elle a remballé sa « guenille » et s’en est allée. Ce n’est que ce jour-là que je la remarquai très particulièrement. Je pensai d’elle quelque chose… oui quelque chose. Ah oui ! qu’elle était terriblement jeune, jeune comme une enfant de quatorze ans : elle en avait seize en réalité. Du reste, non ! Ce n’est pas ça !… Le lendemain, elle revint. J’ai su plus tard qu’elle avait porté son reste de houppelande chez Dobronravov et Mayer, mais ceux-là ne prêtent que sur objets d’or et ne voulurent rien savoir. Une autre fois, je lui avais pris en nantissement un camée, une cochonnerie, et en étais resté tout étonné de moi-même. Moi je ne prête que sur bijoux d’or ou d’argent. Et j’avais accepté un camée ! C’était la seconde fois que je pensais à elle, je me le rappelle bien. Mais le lendemain de l’affaire de la houppelande, elle voulut engager un porte-cigare en ambre jaune, un objet d’amateur, mais sans valeur pour nous autres. Pour nous, or ou argent, ou rien ! Comme elle venait après la révolte de la veille, je la reçus très froidement, très sévèrement. Faible, je lui donnai tout de même 2 roubles, mais je lui dis, un peu fâché : « Ce n’est que pour vous que je fais ça. Allez voir si Moser vous donnera un kopek d’un pareil objet ! » Ce pour vous, je le soulignai particulièrement… J’étais plutôt irrité. Elle rougit en entendant ce pour vous, mais elle se tut, ne me jeta pas l’argent à la figure, le prit très bien, au contraire… Ah ! la pauvreté !… Elle rougit, mais rougit ! Je l’avais blessée. Quand elle fut partie, je me demandai : « Ça vaut-il 2 roubles la petite satisfaction que je viens d’avoir ? »