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Le soleil couchant se noyait au milieu des
vapeurs cuivrées qui, dans le lointain,
emplissaient l’horizon au-dessus de Paris, et déjà
l’ombre grise des soirs de février avait brouillé le
ciel du nord à l’est. Le temps qui le matin s’était
mis au dégel retournait au froid, et les plaques de
neige délayées dans la boue épaisse de la route se
reprenaient en glace, craquant sous le pied. Pas
un paysan aux champs, pas une charrue dans la
plaine déserte où quelques mottes de terre
trouaient de points noirs la nappe de neige qui
avait commencé à fondre ; partout la solitude
dont le morne silence n’était troublé que par une
bise glaciale qui dans les branches dénudées des
peupliers soufflait la chanson de l’hiver, et aussi
par les croassements de quelques corneilles
attardées à chercher leur nourriture.
Cependant deux voitures, de celles que dans le
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monde des saltimbanques on appelle des
roulottes, descendaient la côte de Champs,
traînées par des chevaux efflanqués et de couleur
indécise : dans le calme du soir on entendait les
mécaniques serrées grincer et les essieux crier
avec la plainte lamentable des choses détraquées.
Celle qui tenait la tête, attelée de deux
chevaux, était un long édifice en planches rouges
et jaunes alternativement, sur lesquelles on lisait
en lettres blanches d’une taille démesurée :
« Grand théâtre Duchatellier » ; dans les côtés
s’ouvraient des fenêtres à persiennes, et de son
toit sortait un bout de tuyau en T d’où
s’envolaient des petits flocons de fumée ; l’avant
était disposé en véranda avec galerie circulaire et
porte vitrée. Plus petite et plus modeste était la
seconde roulotte ; un seul cheval la traînait, bien
qu’elle parût assez lourdement chargée à en juger
par les planches, les tréteaux et les décors roulés
entassés sur l’impériale.
Autour de ces voitures marchaient des
hommes vêtus de costumes bizarres pour la
forme comme pour la couleur et qui bien
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