Extrait : " HISTOIRE DE SAINVILLE ET DE LÉONORE[1].
C'est en présentant l'objet qui l'enchaîne, qu'un amant peut se flatter d'obtenir l'indulgence de ses fautes:
daignez jeter les yeux sur Léonore, et vous y verrez à-la-fois la cause de mes torts, et la raison qui les excuse.
Né dans la même ville qu'elle, nos familles unies par les noeuds du sang et de l'amitié, il me fut difficile de la
voir long-tems sans l'aimer; elle sortait à peine de l'enfance, que ses charmes faisaient déjà le plus grand bruit,
et je joignis à l'orgueil d'être le premier à leur rendre hommage, le plaisir délicieux d'éprouver qu'aucun objet
ne m'embrâsait avec autant d'ardeur.
Léonore dans l'âge de la vérité et de l'innocence, n'entendit pas l'aveu de mon amour sans me laisser voir
qu'elle y était sensible, et l'instant où cette bouche charmante sourit pour m'apprendre que je n'étais point haï,
fut, j'en conviens, le plus doux de mes jours. Nous suivîmes la marche ordinaire, celle qu'indique le coeur
quand il est délicat et sensible, nous nous jurâmes de nous aimer, de nous le dire, et bientôt de n'être jamais
l'un qu'à l'autre. Mais nous étions loin de prévoir les obstacles que le sort préparait à nos desseins.--Loin de
penser que quand nous osions nous faire ces promesses, de cruels parens s'occupaient à les contrarier, l'orage
se formait sur nos têtes, et la famille de Léonore travaillait à un établissement pour elle au même instant où la
mienne allait me contraindre à en accepter un.
Léonore fut avertie la première; elle m'instruisit de nos malheurs; elle me jura que si je voulais être ferme, quels que fussent les inconvéniens que nous éprouvassions, nous serions pour toujours l'un à l'autre; je ne
vous rends point la joie que m'inspira cet aveu, je ne vous peindrai que l'ivresse avec laquelle j'y répondis.
Léonore, née riche, fut présentée au Comte de Folange, dont l'état et les biens devaient la faire jouir à Paris du
sort le plus heureux; et malgré ces avantages de la fortune, malgré tous ceux que la nature avait prodigués au
Comte, Léonore n'accepta point: un couvent paya ses refus.
Je venais d'éprouver une partie des mêmes malheurs: on m'avait offert une des plus riches héritières de notre
province, et je l'avais refusée avec une si grande dureté, avec une assurance si positive à mon père, qu'ou
j'épouserais Léonore, ou que je ne me marierais jamais, qu'il obtint un ordre de me faire joindre mon corps, et
de ne le quitter de deux ans.
Avant de vous obéir, Monsieur, dis-je alors, en me jettant aux genoux de ce père irrité, souffrez que je vous
demande au moins la cruelle raison qui vous force à ne vouloir point m'accorder celle qui peut seule faire le
bonheur de ma vie? Il n'y en a point, me répondit mon père, pour ne pas vous donner Léonore, mais il en
existe de puissantes pour vous contraindre à en épouser une autre. L'alliance de Mademoiselle de Vitri,
ajouta-t-il, est ménagée par moi depuis dix ans; elle réunit des biens considérables, elle termine un procès qui
dure depuis des siècles, et dont la perte nous ruinerait infailliblement.--Croyez-moi, mon fils, de telles
considérations valent mieux que tous les sophismes de l'amour: on a toujours besoin de vivre, et l'on n'aime
jamais qu'un instant.--Et les parens de Léonore, mon père, dis-je en évitant de répondre à ce qu'il me disait,
quels motifs allèguent-ils pour me la refuser?--Le désir de faire un établissement bien meilleur; dussé-je
faiblir sur mes intentions, n'imaginez jamais de voir changer les leurs: ou leur fille épousera celui qu'on lui
destine, ou on la forcera de prendre le voile. Je m'en tins là, je ne voulais pour l'instant qu'être instruit du genre
des obstacles, afin de me décider au parti qui me resterait pour les rompre. Je suppliai donc mon père de
m'accorder huit jours, et je lui promis de me rendre incessamment après où il lui plairait de m'exiler.
C'est en présentant l'objet qui l'enchaîne, qu'un amant peut se flatter d'obtenir l'indulgence de ses fautes:
daignez jeter les yeux sur Léonore, et vous y verrez à-la-fois la cause de mes torts, et la raison qui les excuse.
Né dans la même ville qu'elle, nos familles unies par les noeuds du sang et de l'amitié, il me fut difficile de la
voir long-tems sans l'aimer; elle sortait à peine de l'enfance, que ses charmes faisaient déjà le plus grand bruit,
et je joignis à l'orgueil d'être le premier à leur rendre hommage, le plaisir délicieux d'éprouver qu'aucun objet
ne m'embrâsait avec autant d'ardeur.
Léonore dans l'âge de la vérité et de l'innocence, n'entendit pas l'aveu de mon amour sans me laisser voir
qu'elle y était sensible, et l'instant où cette bouche charmante sourit pour m'apprendre que je n'étais point haï,
fut, j'en conviens, le plus doux de mes jours. Nous suivîmes la marche ordinaire, celle qu'indique le coeur
quand il est délicat et sensible, nous nous jurâmes de nous aimer, de nous le dire, et bientôt de n'être jamais
l'un qu'à l'autre. Mais nous étions loin de prévoir les obstacles que le sort préparait à nos desseins.--Loin de
penser que quand nous osions nous faire ces promesses, de cruels parens s'occupaient à les contrarier, l'orage
se formait sur nos têtes, et la famille de Léonore travaillait à un établissement pour elle au même instant où la
mienne allait me contraindre à en accepter un.
Léonore fut avertie la première; elle m'instruisit de nos malheurs; elle me jura que si je voulais être ferme, quels que fussent les inconvéniens que nous éprouvassions, nous serions pour toujours l'un à l'autre; je ne
vous rends point la joie que m'inspira cet aveu, je ne vous peindrai que l'ivresse avec laquelle j'y répondis.
Léonore, née riche, fut présentée au Comte de Folange, dont l'état et les biens devaient la faire jouir à Paris du
sort le plus heureux; et malgré ces avantages de la fortune, malgré tous ceux que la nature avait prodigués au
Comte, Léonore n'accepta point: un couvent paya ses refus.
Je venais d'éprouver une partie des mêmes malheurs: on m'avait offert une des plus riches héritières de notre
province, et je l'avais refusée avec une si grande dureté, avec une assurance si positive à mon père, qu'ou
j'épouserais Léonore, ou que je ne me marierais jamais, qu'il obtint un ordre de me faire joindre mon corps, et
de ne le quitter de deux ans.
Avant de vous obéir, Monsieur, dis-je alors, en me jettant aux genoux de ce père irrité, souffrez que je vous
demande au moins la cruelle raison qui vous force à ne vouloir point m'accorder celle qui peut seule faire le
bonheur de ma vie? Il n'y en a point, me répondit mon père, pour ne pas vous donner Léonore, mais il en
existe de puissantes pour vous contraindre à en épouser une autre. L'alliance de Mademoiselle de Vitri,
ajouta-t-il, est ménagée par moi depuis dix ans; elle réunit des biens considérables, elle termine un procès qui
dure depuis des siècles, et dont la perte nous ruinerait infailliblement.--Croyez-moi, mon fils, de telles
considérations valent mieux que tous les sophismes de l'amour: on a toujours besoin de vivre, et l'on n'aime
jamais qu'un instant.--Et les parens de Léonore, mon père, dis-je en évitant de répondre à ce qu'il me disait,
quels motifs allèguent-ils pour me la refuser?--Le désir de faire un établissement bien meilleur; dussé-je
faiblir sur mes intentions, n'imaginez jamais de voir changer les leurs: ou leur fille épousera celui qu'on lui
destine, ou on la forcera de prendre le voile. Je m'en tins là, je ne voulais pour l'instant qu'être instruit du genre
des obstacles, afin de me décider au parti qui me resterait pour les rompre. Je suppliai donc mon père de
m'accorder huit jours, et je lui promis de me rendre incessamment après où il lui plairait de m'exiler.