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    Amica America: Discours dans le massachusets (French Edition)

    Por Jean GIRAUDOUX

    Sobre

    DISCOURS DANS LE MASSACHUSETTS
    La nuit tombait. Au milieu des acclamations, de vieux messieurs les yeux en pleurs ont retiré par la main chaque officier français du navire, impatients mais cependant sans le hâter, pour qu’il restât au centre de son cercle de lumière, car un projecteur accompagnait chacun de nous. Nous avons émergé de notre vieux et sombre continent éblouis, comme d’une tranchée, — le commandant un peu moins car il avait un projecteur vert, — et maintenant, clos dans nos Cercles où les

    hommes seuls pénètrent, nous vivons hors de toute atteinte féminine. Les attentions qu’en France les femmes imaginent, des hommes les ont pour nous, et les vieillards celles des petites filles. Ce n’est point la femme du banquier qui m’éveille, la femme de l’évêque qui me borde, c’est le banquier lui-même, c’est l’évêque. Si nous ouvrons notre porte un peu vite, un professeur à cheveux blancs, surpris à y clouer une cocarde, s’enfuit désolé par la fenêtre et par les toits. Ou bien ce sont les chirurgiens qui, chaque matin, nous offrent, comme un miroir à leur malade, des illustrés où nous voyons nos portraits, blâmant sévèrement ceux où nous sommes maigres. Ou bien c’est un vieux colonel qui nous envoie par amitié les photographies historiques de sa vie, et sur l’une d’elles, car il fut champion de nage, il est nu. Chacune de nos chambres est dédiée à une promotion de l’Université ; j’habite par hasard la chambre 1888, et tous ceux qui passèrent leur examen cet été-là, où justement je naquis, ont le droit d’entrer me voir sans s’annoncer, amenant en fraude leurs amis qui échouèrent. Le soir, chaque soir, banquet. Du perron, un hôte s’avance vers chacun de nous, s’incline, et nous montons par couples à la salle des fêtes. Le commandant donne le bras au Président ; pour notre capitaine qui a deux mètres, on a mandé par télégramme du Canada le membre le plus haut du Club (comme on compte ici par pieds et par pouces, on n’arrive pas à savoir quel est le plus grand des deux) ; et, pour le dernier officier, pour moi, le Bostonien réputé dans le cercle, — quel qu’il soit, on lui doit aujourd’hui ce triomphe, — pour aimer la France avec le plus de passion. C’est un colosse à front têtu, trapu : sous ma main son bras tremble. C’est un petit homme timide, bouleversé, qui doit prononcer un discours, que deux amis géants rattrapent comme il se dérobe, soulèvent, et m’apportent tout droit, pour ne pas troubler ses idées et ses mots, comme une bouteille de vieux whisky. C’est un avocat, un géographe, un professeur ; il voit la France comme la perfection de son métier, comme un discours sans paroles, comme un pays étendu sur quatre couches de même épaisseur, comme un enfant portant son âme. C’est un orfèvre : la France est un gros diamant, et son œil étincelle.

    Nous montons. Les jeunes gens s’écartent, même de moi, qui ai leur âge, et la jeunesse chez un Français leur paraît une qualité antique et stable, comme chez d’autres la beauté, la bonté. Sur chaque marche le magnésium éclate, l’air américain grésille ou flambe sous ces premiers éclats de la guerre d’Europe. Les pères, les oncles touchent notre sabre, notre médaille, tout ce qui est de métal dans ces gens d’une autre planète, la main de fer du commandant, puis sa seconde main qui est de chair ; et leurs yeux se mouillent. Du premier, les vétérans en costume nous jettent des iris bleus ; — on croit là-bas que l’iris est notre fleur nationale, et les morts de l’Indépendance seuls nous ont offert ce matin au cimetière, sur leurs tombes, de vraies fleurs de lys ; les morts savent tout… Un iris atteint mon guide au visage. Il frémit comme le héraut du prince de Galles, du roi d’Angleterre quand l’effleurent trois vraies plumes d’autruche, une vraie licorne ; il me serre la main, il me dit : — Je voudrais… je voudrais que les avions allemands bombardent enfin nos villes !
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