Ce livre comporte une table des matières dynamique, à été relu et corrigé.
Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique
Elle a dit : Non !
Elle a dit : Non ! ce soir-là, dans un parc où la brume argentait les masses étagées des verdures, pareilles à de beaux décors tendus pour une solennité d’amour. Le silence reposait sur les eaux calmes. La barque s’en allait doucement sur la pente insensible du fleuve comme vers une mystérieuse destinée… Une attente immense régnait : l’âme de Jacques lui semblait s’élargir, se diluer dans le crépuscule, emplir la vallée… La jeune fille était brune et pâle comme dans un poème romantique. Un oui, un non, flottaient dans l’air. C’est le non qui s’est posé. Pourquoi ? Parce que son regard a suivi un éphémère sur les herbes ? parce que le remous de la barque l’a distraite ? pour rien, peut-être parce qu’elle pensait : oui ?
Elle a dit : Non ! et ce n’est pas même à une demande d’aveu qu’elle répondait. C’était à une de ces questions banales auxquelles celui qui interroge attache parfois un sens beaucoup plus grand que les mots. Il disait simplement :
— Viendrez-vous demain, comme ce soir ?
Elle laissa tomber un non, négligemment, en caressant du doigt l’eau fuyante.
Il soupira, assez fort pour que sa désillusion fut manifeste. Déjà, tout à l’heure, elle avait répondu avec la même indifférence à une question où il avait mis tant de volonté, tant de désir, ramassé tant de lui-même qu’elle aurait dû comprendre… C’était une étape sur la pente de l’aveu : il attendait un encouragement, un sourire, une inflexion tendre de la voix. Elle ne s’apercevait de rien ; elle jouissait nonchalamment de la paix du soir. L’instant d’après, elle eût été surprise sans doute, s’il lui eût rappelé sa réponse… Mais voilà ! il ne le savait pas ! Tout ce qu’il pouvait faire, c’était construire autour d’elle un merveilleux décor de bonheur où elle passait, parée des fraîches couleurs des amours de vingt ans.
Il poussa nerveusement son aviron : elle le regarda. Il répéta ses paroles avec un accent de dépit dont elle s’aperçut :
— Alors, vous ne viendrez pas ?
Elle hocha la tête et ce fut tout. Il ramena la barque. La nuit tombait comme une loque sombre devant les beaux feux du soir…
Il y avait trente ans de cela. Depuis lors, il s’était, par dépit, jeté dans les bras d’une femme qui le guettait, qu’il n’aimait pas et qu’il perdit tôt. Sa jeunesse chavira dans la vie médiocre et difficile.
Maintenant, pour lui, chaque jour entassait ses heures comme un vieux buveur abruti ses soucoupes dans le fond d’un estaminet. Ce n’est pas que son amour passé fut tel qu’un chagrin sans trêve rongeât sa vie. Mais il était sans racines et à la merci des courants. Son existence devint veule et poisseuse, comme une épave gluante qui glisse le