Pendant un instant, Roubaud s’intéressa, comparant, songeant à sa
gare du Havre. Chaque fois qu’il venait de la sorte passer un jour à Paris, et
qu’il descendait chez la mère Victoire, le métier le reprenait. Sous la marquise
des grandes lignes, l’arrivée d’un train de Mantes avait animé les
quais ; et il suivit des yeux la machine de manoeuvre, une petite machinetender,
aux trois roues basses et couplées, qui commençait le débranchement
du train, alerte besogneuse, emmenant, refoulant les wagons sur les
voies de remisage. Une autre machine, puissante celle-là, une machine
d’express, aux deux grandes roues dévorantes, stationnait seule, lâchait
par sa cheminée une grosse fumée noire, montant droit, très lente dans
l’air calme. Mais toute son a?ention fut prise par le train de trois heures
vingt-cinq, à destination de Caen, empli déjà de ses voyageurs, et qui attendait
sa machine. Il n’apercevait pas celle-ci, arrêtée au delà du pont
de l’Europe ; il l’entendait seulement demander la voie, à légers coups de
sifflet pressés, en personne que l’impatience gagne. Un ordre fut crié, elle
répondit par un coup bref qu’elle avait compris. Puis, avant la mise en
marche, il y eut un silence, les purgeurs furent ouverts, la vapeur siffla au
ras du sol, en un jet assourdissant. Et il vit alors déborder du pont ce?e
blancheur qui foisonnait, tourbillonnante comme un duvet de neige, envolée
à travers les charpentes de fer. Tout un coin de l’espace en était
blanchi, tandis que les fumées accrues de l’autre machine élargissaient
leur voile noir. Derrière, s’étouffaient des sons prolongés de trompe, des
cris de commandement, des secousses de plaques tournantes...
gare du Havre. Chaque fois qu’il venait de la sorte passer un jour à Paris, et
qu’il descendait chez la mère Victoire, le métier le reprenait. Sous la marquise
des grandes lignes, l’arrivée d’un train de Mantes avait animé les
quais ; et il suivit des yeux la machine de manoeuvre, une petite machinetender,
aux trois roues basses et couplées, qui commençait le débranchement
du train, alerte besogneuse, emmenant, refoulant les wagons sur les
voies de remisage. Une autre machine, puissante celle-là, une machine
d’express, aux deux grandes roues dévorantes, stationnait seule, lâchait
par sa cheminée une grosse fumée noire, montant droit, très lente dans
l’air calme. Mais toute son a?ention fut prise par le train de trois heures
vingt-cinq, à destination de Caen, empli déjà de ses voyageurs, et qui attendait
sa machine. Il n’apercevait pas celle-ci, arrêtée au delà du pont
de l’Europe ; il l’entendait seulement demander la voie, à légers coups de
sifflet pressés, en personne que l’impatience gagne. Un ordre fut crié, elle
répondit par un coup bref qu’elle avait compris. Puis, avant la mise en
marche, il y eut un silence, les purgeurs furent ouverts, la vapeur siffla au
ras du sol, en un jet assourdissant. Et il vit alors déborder du pont ce?e
blancheur qui foisonnait, tourbillonnante comme un duvet de neige, envolée
à travers les charpentes de fer. Tout un coin de l’espace en était
blanchi, tandis que les fumées accrues de l’autre machine élargissaient
leur voile noir. Derrière, s’étouffaient des sons prolongés de trompe, des
cris de commandement, des secousses de plaques tournantes...