J'ai assisté, ces jours derniers, à l'inattendu dénouement d'une aventure
qui s'est achevée d'une façon presque bouffonne, après avoir failli
tourner au tragique. Bien que j'y fusse engagé pour une très faible part,
et comme simple témoin, j'y avais mêlé trop de mon cœur pour que je
n'éprouve pas aujourd'hui, devant une pareille issue, cette âcre
sensation de l'ironie des choses,cruelle ou bienfaisante, qui le dira?
C'est le froid du fer qui vous charcute, mais vous guérit. L'idée m'est
venue d'essayer un récit de toute cette histoire. Évidemment, il serait
plus raisonnable de continuer un de mes tableaux commencés, par exemple
cette Psyché pardonnée, que j'ai là, sur un chevalet, depuis des
années, ou bien une de ces natures mortes: meubles usés, vieilles
argenteries, livres souvent maniés, qui feront la série des Humbles
Amis. «Un peintre,» répétait toujours mon maître Miraut, «ne doit penser
que le pinceau à la main...» Je crois même, d'après d'illustres exemples,
et Miraut lui-même, qu'il doit ne pas penser du tout. Mais, et je le sais
trop, je ne suis qu'un demi-peintre, un artiste d'intention plus que de
tempérament, l'ébauche d'un Fromentin de deuxième ordre. La singulière
tristesse encore que celle-là: sentir que l'on représente le double d'un
autre, et inférieur, une épreuve, dégradée et diminuée, d'une planche
déjà tirée,un échantillon d'humanité à la ressemblance d'un modèle qui
a déjà vécu, et dans la destinée de ce modèle on peut lire à l'avance
toute sa propre destinée! Toute? Non. Car je me rends trop compte que je
dois subir toutes les insuffisances de Fromentin, sans en posséder jamais
toutes ses excellences
qui s'est achevée d'une façon presque bouffonne, après avoir failli
tourner au tragique. Bien que j'y fusse engagé pour une très faible part,
et comme simple témoin, j'y avais mêlé trop de mon cœur pour que je
n'éprouve pas aujourd'hui, devant une pareille issue, cette âcre
sensation de l'ironie des choses,cruelle ou bienfaisante, qui le dira?
C'est le froid du fer qui vous charcute, mais vous guérit. L'idée m'est
venue d'essayer un récit de toute cette histoire. Évidemment, il serait
plus raisonnable de continuer un de mes tableaux commencés, par exemple
cette Psyché pardonnée, que j'ai là, sur un chevalet, depuis des
années, ou bien une de ces natures mortes: meubles usés, vieilles
argenteries, livres souvent maniés, qui feront la série des Humbles
Amis. «Un peintre,» répétait toujours mon maître Miraut, «ne doit penser
que le pinceau à la main...» Je crois même, d'après d'illustres exemples,
et Miraut lui-même, qu'il doit ne pas penser du tout. Mais, et je le sais
trop, je ne suis qu'un demi-peintre, un artiste d'intention plus que de
tempérament, l'ébauche d'un Fromentin de deuxième ordre. La singulière
tristesse encore que celle-là: sentir que l'on représente le double d'un
autre, et inférieur, une épreuve, dégradée et diminuée, d'une planche
déjà tirée,un échantillon d'humanité à la ressemblance d'un modèle qui
a déjà vécu, et dans la destinée de ce modèle on peut lire à l'avance
toute sa propre destinée! Toute? Non. Car je me rends trop compte que je
dois subir toutes les insuffisances de Fromentin, sans en posséder jamais
toutes ses excellences