Pierre Drieu La Rochelle publie en 1931 un roman redoutable...
Ce Feu Follet c'est Alain Leroy, un garçon qui, après avoir brûlé sa jeunesse par les deux bouts, ne se voit guère de raisons de passer à l'âge adulte.
Suicidaire désabusé, son quotidien n’est fait que de renoncements, rechutes et soirées demi-mondaines, dans une capitale qui vit pleinement son entre deux guerres. Amour perdu, amitié contrariée ou richesse dilapidée sont autant de poignards qui rendent chaque jour son quotidien plus noir… Alors il se suicidera.
Mais avant, au sortir d'une longue cure de désintoxication au milieu des neurasthéniques, il va faire le tour de ses anciens amis, compagnons de beuveries et d'illusions devenus « si sûrs d'eux, si tranquilles ». Chacun d’eux ou presque est devenu un archétype de cet état adulte qui lui est insupportable. Rien dans cette tournée d'adieux ne contrariera son projet de se tirer une balle dans le cœur.
Livre culte, magistral et essentiel, autant dans la littérature de l’entre-deux guerre que dans la bibliographie de Drieu la Rochelle, Le Feu Follet est une œuvre miroir. Drieu y met en scène son propre destin sans que l’on sache si la littérature a fait de lui un devin ou si c’est lui qui s’est servi de son art pour coucher sur le papier sa prophétie crépusculaire.
Alain meurt dès les premières lignes, d’une mort symbolique.
Les pages suivantes le confirmeront : Alain est ravalé au rang d’une « ombre abominablement distraite du règne des vivants » qui regarde les autres « avec l’attendrissement lointain et dérisoire d’un mort ». Tout cadavre ambulant qu’il est, Alain semble malgré tout espérer du monde des vivants une main tendue. Ce pourrait être l’écriture dont « les mailles recueillent et rassemblent sans cesse toutes les forces diffuses de la vie humaine », mais la volonté lui manque. Dubourg, le grand ami, s’est embourgeoisé et se complait dans une vie familiale qu’Alain a tôt fait de qualifier de « solitude encombrée ». Mollement, Dubourg se propose de sauver Alain en lui enseignant la patience : celui-ci se dérobe, une fois de plus…
Il y a encore les femmes. Alain attendait d’elles de l’argent pour se droguer, maintenant il attend un télégramme qui pourrait le sauver. C’est peine perdue, même la délicieuse Solange se détourne et lui préfère la compagnie de Brancion, l’aventurier à la gueule cassée. Dépouillé de tout, talent compris, tout est prêt pour l’acte final. Barrès disait qu’il faut « tout avoir pour pouvoir tout mépriser », Drieu répond : il faut ne rien avoir pour pouvoir mépriser le plus important, sa propre vie.
Dans la vraie vie, Alain s'appelait Gonzague. Accro à l'héroïne, piètre littérateur (selon Drieu), il professait des idées à l'inverse de celles de son ami. Drieu lui tailla cette épitaphe : « L'argent, le succès. Tu n'avais à choisir qu'entre la boue et la mort. Mourir, c'est ce que tu pouvais de plus beau, de plus fort, de plus... ».
De cette incitation à l'autodestruction, Louis Malle fera en 1963 une adaptation lumineuse, sans doute l'un des plus beaux films français de ces quarante dernières années. En 2012, Joachim Trier, jeune cinéaste norvégien féru de culture française, adaptera à son tour le roman de Drieu La Rochelle.
À chaque fois, malgré le changement d’époque, on retrouve cette fêlure, cette existence vécue comme un gâchis irréparable et conclue par un suicide comme unique solution…
Une preuve que le livre de Drieu traite d'un sujet intemporel.
Par ce roman désespéré, nihiliste même, Drieu atteint sans doute le sommet de son art. Les phrases y sont aussi sobres et définitives que l’issue qui attend son personnage fantomatique....
Spleen, acceptation ou non du cap qu'est l'âge adulte, quête d'absolu, de pureté, attachement têtu à l'enfance teinté de nostalgie : autant de raisons d’aimer ce livre sec, aussi vif que toxique.
Ce Feu Follet c'est Alain Leroy, un garçon qui, après avoir brûlé sa jeunesse par les deux bouts, ne se voit guère de raisons de passer à l'âge adulte.
Suicidaire désabusé, son quotidien n’est fait que de renoncements, rechutes et soirées demi-mondaines, dans une capitale qui vit pleinement son entre deux guerres. Amour perdu, amitié contrariée ou richesse dilapidée sont autant de poignards qui rendent chaque jour son quotidien plus noir… Alors il se suicidera.
Mais avant, au sortir d'une longue cure de désintoxication au milieu des neurasthéniques, il va faire le tour de ses anciens amis, compagnons de beuveries et d'illusions devenus « si sûrs d'eux, si tranquilles ». Chacun d’eux ou presque est devenu un archétype de cet état adulte qui lui est insupportable. Rien dans cette tournée d'adieux ne contrariera son projet de se tirer une balle dans le cœur.
Livre culte, magistral et essentiel, autant dans la littérature de l’entre-deux guerre que dans la bibliographie de Drieu la Rochelle, Le Feu Follet est une œuvre miroir. Drieu y met en scène son propre destin sans que l’on sache si la littérature a fait de lui un devin ou si c’est lui qui s’est servi de son art pour coucher sur le papier sa prophétie crépusculaire.
Alain meurt dès les premières lignes, d’une mort symbolique.
Les pages suivantes le confirmeront : Alain est ravalé au rang d’une « ombre abominablement distraite du règne des vivants » qui regarde les autres « avec l’attendrissement lointain et dérisoire d’un mort ». Tout cadavre ambulant qu’il est, Alain semble malgré tout espérer du monde des vivants une main tendue. Ce pourrait être l’écriture dont « les mailles recueillent et rassemblent sans cesse toutes les forces diffuses de la vie humaine », mais la volonté lui manque. Dubourg, le grand ami, s’est embourgeoisé et se complait dans une vie familiale qu’Alain a tôt fait de qualifier de « solitude encombrée ». Mollement, Dubourg se propose de sauver Alain en lui enseignant la patience : celui-ci se dérobe, une fois de plus…
Il y a encore les femmes. Alain attendait d’elles de l’argent pour se droguer, maintenant il attend un télégramme qui pourrait le sauver. C’est peine perdue, même la délicieuse Solange se détourne et lui préfère la compagnie de Brancion, l’aventurier à la gueule cassée. Dépouillé de tout, talent compris, tout est prêt pour l’acte final. Barrès disait qu’il faut « tout avoir pour pouvoir tout mépriser », Drieu répond : il faut ne rien avoir pour pouvoir mépriser le plus important, sa propre vie.
Dans la vraie vie, Alain s'appelait Gonzague. Accro à l'héroïne, piètre littérateur (selon Drieu), il professait des idées à l'inverse de celles de son ami. Drieu lui tailla cette épitaphe : « L'argent, le succès. Tu n'avais à choisir qu'entre la boue et la mort. Mourir, c'est ce que tu pouvais de plus beau, de plus fort, de plus... ».
De cette incitation à l'autodestruction, Louis Malle fera en 1963 une adaptation lumineuse, sans doute l'un des plus beaux films français de ces quarante dernières années. En 2012, Joachim Trier, jeune cinéaste norvégien féru de culture française, adaptera à son tour le roman de Drieu La Rochelle.
À chaque fois, malgré le changement d’époque, on retrouve cette fêlure, cette existence vécue comme un gâchis irréparable et conclue par un suicide comme unique solution…
Une preuve que le livre de Drieu traite d'un sujet intemporel.
Par ce roman désespéré, nihiliste même, Drieu atteint sans doute le sommet de son art. Les phrases y sont aussi sobres et définitives que l’issue qui attend son personnage fantomatique....
Spleen, acceptation ou non du cap qu'est l'âge adulte, quête d'absolu, de pureté, attachement têtu à l'enfance teinté de nostalgie : autant de raisons d’aimer ce livre sec, aussi vif que toxique.