Encore des Chroniques ! Oui, encore. Je voudrais,
dès la première page, déconseiller mes lecteurs de les
lire. Et cependant elles sont ma seule ressource, à moi
qui n’émarge à aucun budget, à moi, rouge avancé,
tellement avancé que mes amis m’ont perdu de vue à
leur avènement au pouvoir, il y a de cela bientôt quatre
ans. Quatre ans ! ça n’est rien dans la vie des
gouvernements, soit ; mais comme cela compte dans la
vie des particuliers ! J’ai vu ma fortune décroître à
mesure que grossissait le vote libéral, et quand la
majorité des libéraux devint écrasante, je touchais juste
à la famine.
Si mon parti restait au pouvoir encore deux ans, les
ultramontains se verraient obligés de me faire enterrer à
leurs frais, et... je serais vengé.
Je ne suis même pas encore honorable, malgré mes
cheveux gris, et j’ai vu Fabre précipité au Sénat sans
qu’un même sort semblât me menacer. Déjà je navigue
à pleines voiles dans l’âge mûr, âge sans témérités
parce qu’il est sans illusions et je n’ai pas été
fonctionnaire un seul jour ! Je ne connais pas le
bonheur d’avoir un chef de bureau, et déjà mon passé se
compte par lustres dont le nombre m’inspire de
sérieuses inquiétudes sur le nombre de ceux qu’il me
reste à parcourir. Toutes les félicités officielles me sont
inconnues et j’ai passé des nuits entières à rêver d’une
sinécure qui m’eût permis d’édifier un monument
littéraire pour la postérité, j’entends pour la postérité la
plus rapprochée, celle qui suivrait de très près
l’édification du monument et s’en montrerait digne en
me comblant de largesses.
dès la première page, déconseiller mes lecteurs de les
lire. Et cependant elles sont ma seule ressource, à moi
qui n’émarge à aucun budget, à moi, rouge avancé,
tellement avancé que mes amis m’ont perdu de vue à
leur avènement au pouvoir, il y a de cela bientôt quatre
ans. Quatre ans ! ça n’est rien dans la vie des
gouvernements, soit ; mais comme cela compte dans la
vie des particuliers ! J’ai vu ma fortune décroître à
mesure que grossissait le vote libéral, et quand la
majorité des libéraux devint écrasante, je touchais juste
à la famine.
Si mon parti restait au pouvoir encore deux ans, les
ultramontains se verraient obligés de me faire enterrer à
leurs frais, et... je serais vengé.
Je ne suis même pas encore honorable, malgré mes
cheveux gris, et j’ai vu Fabre précipité au Sénat sans
qu’un même sort semblât me menacer. Déjà je navigue
à pleines voiles dans l’âge mûr, âge sans témérités
parce qu’il est sans illusions et je n’ai pas été
fonctionnaire un seul jour ! Je ne connais pas le
bonheur d’avoir un chef de bureau, et déjà mon passé se
compte par lustres dont le nombre m’inspire de
sérieuses inquiétudes sur le nombre de ceux qu’il me
reste à parcourir. Toutes les félicités officielles me sont
inconnues et j’ai passé des nuits entières à rêver d’une
sinécure qui m’eût permis d’édifier un monument
littéraire pour la postérité, j’entends pour la postérité la
plus rapprochée, celle qui suivrait de très près
l’édification du monument et s’en montrerait digne en
me comblant de largesses.