Philosophie de la Danse, Danse de la Philosophie
Cette édition numérique présente les deux textes formant l’essentiel des écrits consacrés par PAUL VALERY à la danse :
- PHILOSOPHIE DE LA DANSE
- L’ÂME DE LA DANSE
On ne doit pas sous-estimer l'importance que cet art qu’est la danse eut sur le développement de la pensée et de l’œuvre de Paul Valéry.
Il témoigne d'une véritable sensibilité pour la danse, qui se nourrit d'expériences diverses de la scène et d'une réflexion sur les relations entre les différents arts. Ce que traduit son intérêt constant pour la danse, c'est une conception de la culture qui met l'accent sur sa dimension physique et sensible, autant que sur les productions intellectuelles. C'est aussi une conception de l'art comme acte.
À partir de la danse, il développe l'idée d'une intelligence sensible qui le fascinait déjà chez Léonard et Berthe Morisot, et qui fait la matière de l'étonnant personnage de Monsieur Teste, esprit aigu, aux «paroles le plus adroitement touchantes/», d'une «terrible obstination dans des expériences enivrantes». La danse et les danseuses appartiennent à cette série de figures, subtiles et puissantes.
PHILOSOPHIE DE LA DANSE est une conférence prononcée par Valéry à l’Université des Annales le 5 mars 1936 qui précédait la prestation chorégraphique d’Antonia Mercé y Luque, (1890-1936) plus connue sous son nom de scène La Argentina. Cette danseuse et chorégraphe espagnole est considérée par beaucoup comme une des plus grandes novatrices de la danse espagnole du XXe siècle.
«Qu’est-ce donc que la Danse ?», s’interroge notre philosophe, en s’excusant dès le début d’être quelqu’un… qui ne danse pas, avant de nous offrir une réflexion passionnée et passionnante sur cet art qui pour lui a fait découvrir à l’homme le plaisir pris dans le rythme, dans l'enivrement des sens jusqu'à épuisement. Détachée de l’utile, la danse est une action poétique. Valéry nous le démontre sous sa plume concise et énergique qui semble elle aussi dans l'ivresse du mouvement sans fin du danseur.
Le ballet des doigts du pianiste, le mouvement de la toupie, tout est danse, nous dit le philosophe avec la sensibilité particulière d’un Paul Valéry avant tout poète. Et cet art en acte inspire à Valéry autant une philosophie de la danse qu'une danse de la philosophie.
L’ÂME ET LA DANSE : Ce dialogue poético-socratique de Paul Valéry, au contraire du précédent texte, ne se veut pas une démonstration, mais la coexistence de thèses multiples et la formulation d’intuitions n’ayant pas à fournir leur preuve…
Un banquet se termine, sans doute chez quelque riche athénien. Les mets et les vins ont été abondants et une partie des convives sont momentanément inaptes à la station verticale.
Socrate, Phèdre et Eryximaque vont s’asseoir à l’écart : après ces nourritures terrestres, ils aspirent à plus spirituel.
La conversation commence, des danseuses font leur entrée… Et la conversation s’interrompt. L’attention des trois amis est attirée par Atykté qui paraît à elle seule symboliser la danse.
"... Leurs mains parlent, et leurs pieds semblent écrire. Quelle précision dans ces êtres qui s'étudient à user si heureusement de leurs forces moelleuses !... Toutes mes difficultés me désertent, et il n'est point à présent de problème qui m'exerce, tant j'obéis avec bonheur à la mobilité de ces figures ! Ici, la certitude est un jeu ; on dirait que la connaissance a trouvé son acte, et que l'intelligence tout à coup consent aux grâces spontanées..."
Au fil de ce texte entrecoupé, intermittent, va-et-vient de balles saisies au vol, se poursuit l’incessante métamorphose du concret en abstrait, de l’objet en concept. Le jeu des réparties des trois interlocuteurs cache tantôt celui de l’auteur et tantôt le montre à découvert.