Extrai:
Depuis Ronsard et Joachim du Bellay les meilleurs esprits trouvent l’orthographe française trop surchargée, sentent le besoin de la simplifier. Voici pourquoi. C’est qu’elle était très simple au xve siècle, et que les grammairiens du xvie siècle, par affectation scientifique, par pédantisme, l’avaient grièvement compliquée.
Quand je dis que l’orthographe était simple au xve siècle et au commencement du xvie, la vérité est qu’elle n’existait pas. Seulement, les premiers imprimeurs furent bien à peu près forcés d’avoir un usage commun (ou à peu près). De cet usage commun est née l’orthographe, la première orthographe, ou ce que l’on peut appeler ainsi, l’orthographe du commencement du xvie siècle, l’orthographe de Marot et de Commines.
Cette orthographe n’a aucun caractère scientifique, mais elle est très simple, très dépouillée, elle n’accumule pas les lettres parasites, inutiles ou peu utiles ; enfin elle est très bonne femme.
Là-dessus arrivèrent les savants, les grammairiens, les pédants, et particulièrement Robert Estienne, avec son dictionnaire de 1540. Robert Estienne était féru de latinité et d’étymologie. Il voulut calquer la langue française sur la latine. Pour cause ou sous prétexte d’étymologie, il introduisit des lettres dans les mots. Les lexiques de son temps écrivaient fait, lait, point, hâtif, etc. Il écrivit faict (à cause de factum), poinct (à cause de punctum), laict (à cause de lac, lactis), hastif, je veux être roué si je sais pourquoi.
Il fut suivi, il fut dépassé, et, au milieu du xvie siècle, ce fut une orgie de lettres parasites et de mots tirés du grec, scrupuleusement calqués sur le mot grec : th, ph, rh, ch, à foison.
C’est précisément tout de suite, Dieu merci, et je reconnais là le bon sens et l’esprit de clarté des Français ; c’est précisément tout de suite, mais lentement, que commença, pour ne pas s’arrêter, le travail de simplification.
Il commença par Ronsard et du Bellay. Ronsard était simplificateur très radical. Il disait dans son Abrégé de l’art poétique à M. d’Elbenne, abbé de Haute-Combe : « Tu diras, selon la contrainte de ton vers : or, ore, ores, adoncq, adoncque, adoncques, aveq, avecques et mille autres, que, sans crainte, tu trancheras ou allongeras ainsi qu’il te plaira… Tu éviteras toute orthographe superflue, et ne mettras aucunes lettres en les mots si tu ne les profères ; au moins, tu en useras le plus sobrement que tu pourras en attendant meilleure réformation ; tu écriras écrire et non escrire, cieux et non cieulx. Tu pardonneras encore à nos z [multipliés fantastiquement au milieu du xvie siècle] jusques à tant qu’elles soient remises aux lieux où elles doivent servir comme en roze, choze, épouze, etc… Autant en est-il de notre g, qui souventes fois occupe misérablement l’i consonne [c’est-à-dire le j], comme en langage pour langaje. [On voit que quand, à l’ébahissement de la foule, la Commission de simplification propose d’écrire gajure, elle répète simplement Ronsard et a une audace qui date de trois cent vingt ans. Veuillez croire, du reste, qu’elle le sait.]
Ailleurs, dans son Avertissement au lecteur de l’Abrégé susdit, Ronsard fait la guerre à l’y grec, invite chaudement à racler l’y grec, et fait cette observation de tout bon sens : « Lorsque tels mots grecs seront assez longtemps restés en France, il convient de les recevoir en notre mesnie [domaine], et de les marquer de l’i français, pour montrer qu’ils sont nôtres, et non plus inconnus et étrangers. »
Le mouvement continua. L’illustre d’Ablancourt, si estimé, si bon écrivain que Boileau disait ironiquement :...
Depuis Ronsard et Joachim du Bellay les meilleurs esprits trouvent l’orthographe française trop surchargée, sentent le besoin de la simplifier. Voici pourquoi. C’est qu’elle était très simple au xve siècle, et que les grammairiens du xvie siècle, par affectation scientifique, par pédantisme, l’avaient grièvement compliquée.
Quand je dis que l’orthographe était simple au xve siècle et au commencement du xvie, la vérité est qu’elle n’existait pas. Seulement, les premiers imprimeurs furent bien à peu près forcés d’avoir un usage commun (ou à peu près). De cet usage commun est née l’orthographe, la première orthographe, ou ce que l’on peut appeler ainsi, l’orthographe du commencement du xvie siècle, l’orthographe de Marot et de Commines.
Cette orthographe n’a aucun caractère scientifique, mais elle est très simple, très dépouillée, elle n’accumule pas les lettres parasites, inutiles ou peu utiles ; enfin elle est très bonne femme.
Là-dessus arrivèrent les savants, les grammairiens, les pédants, et particulièrement Robert Estienne, avec son dictionnaire de 1540. Robert Estienne était féru de latinité et d’étymologie. Il voulut calquer la langue française sur la latine. Pour cause ou sous prétexte d’étymologie, il introduisit des lettres dans les mots. Les lexiques de son temps écrivaient fait, lait, point, hâtif, etc. Il écrivit faict (à cause de factum), poinct (à cause de punctum), laict (à cause de lac, lactis), hastif, je veux être roué si je sais pourquoi.
Il fut suivi, il fut dépassé, et, au milieu du xvie siècle, ce fut une orgie de lettres parasites et de mots tirés du grec, scrupuleusement calqués sur le mot grec : th, ph, rh, ch, à foison.
C’est précisément tout de suite, Dieu merci, et je reconnais là le bon sens et l’esprit de clarté des Français ; c’est précisément tout de suite, mais lentement, que commença, pour ne pas s’arrêter, le travail de simplification.
Il commença par Ronsard et du Bellay. Ronsard était simplificateur très radical. Il disait dans son Abrégé de l’art poétique à M. d’Elbenne, abbé de Haute-Combe : « Tu diras, selon la contrainte de ton vers : or, ore, ores, adoncq, adoncque, adoncques, aveq, avecques et mille autres, que, sans crainte, tu trancheras ou allongeras ainsi qu’il te plaira… Tu éviteras toute orthographe superflue, et ne mettras aucunes lettres en les mots si tu ne les profères ; au moins, tu en useras le plus sobrement que tu pourras en attendant meilleure réformation ; tu écriras écrire et non escrire, cieux et non cieulx. Tu pardonneras encore à nos z [multipliés fantastiquement au milieu du xvie siècle] jusques à tant qu’elles soient remises aux lieux où elles doivent servir comme en roze, choze, épouze, etc… Autant en est-il de notre g, qui souventes fois occupe misérablement l’i consonne [c’est-à-dire le j], comme en langage pour langaje. [On voit que quand, à l’ébahissement de la foule, la Commission de simplification propose d’écrire gajure, elle répète simplement Ronsard et a une audace qui date de trois cent vingt ans. Veuillez croire, du reste, qu’elle le sait.]
Ailleurs, dans son Avertissement au lecteur de l’Abrégé susdit, Ronsard fait la guerre à l’y grec, invite chaudement à racler l’y grec, et fait cette observation de tout bon sens : « Lorsque tels mots grecs seront assez longtemps restés en France, il convient de les recevoir en notre mesnie [domaine], et de les marquer de l’i français, pour montrer qu’ils sont nôtres, et non plus inconnus et étrangers. »
Le mouvement continua. L’illustre d’Ablancourt, si estimé, si bon écrivain que Boileau disait ironiquement :...