Si le lecteur est curieux de connoître l’origine d’un pareil ouvrage, la voici :
En feuilletant mes manuscrits, j’y trouve que j’eus quelque envie jadis d’écrire mes mémoires.
Je me mis, en effet, à l’ouvrage avec l’intention la plus sérieuse et la plus stupide possible ; mais tout-à-coup le fantôme de l’imagination, et le phosphore de l’esprit brillèrent à ma vue, m’éblouirent et m’entraînèrent à travers les haies et les fossés, les ronces, les fondrières et les sables arides, pendant le cours de quatre volumes, avant que je me fusse avisé de me mettre au monde. Oui, la majeure partie de mon ouvrage étoit dépensée avant l’époque de ma naissance. Ah ! je le connoissois trop, ce monde, pour être tant désireux d’y arriver.
La bisarrerie et la nouveauté des premiers volumes exercèrent le goût capricieux du public : je fus applaudi et sifflé, défendu et censuré dans plus d’une page. Cependant, comme il y a, en un sens, plus de lecteurs que de juges, l’édition fut vendue, et, par conséquent, elle réussit. Cela m’encouragea, et je continuai avec le même ton d’insouciance, tout en chantant, et entouré d’une nombreuse audience, qui épioit la chute des feuilles que je lui jetois. Ce qui m’amusoit le plus, étoit ce nombre de lecteurs pénetrans, qui jugeoient que mes extravagantes lubies contenoient un sens mystique dont ils se targuoient de dévoiler la sublime profondeur à la fin de l’ouvrage.
Il y a plus encore : des jurés-experts devineurs d’énigmes prétendoient pouvoir suivre ma trace à travers chaque volume, sans perdre de vue, un seul moment, la connexion de mes phrases. Quels lynx ! quels enthousiastes ! avec quelle intelligence et quel avantage ces messieurs n’auroient-ils pas lu l’apocalypse ? la bête à sept têtes, le puits fumant et les sauterelles cuirassées n’auroient été qu’un jeu pour leur perspicacité.
Cependant j’ai la modestie d’avouer qu’il y a, par-ci, par-là, dans mon livre quelques passages intéressans.
In sterquilinio margaritam reperit.
J’y ridiculise quelques foiblesses : la charité et la bienveillance y sont toujours inspirées et recommandées : quelquefois, il est vrai, je cours les champs et les grands chemins, sans d’autre projet que celui de jouir du bienfait de l’air et de la liberté ; mais un objet de pitié se présente-t-il à moi, je l’offre aussitôt à la pitié publique.
C’est ainsi que je vaguois dans l’insouciance, aussi innocemment qu’un enfant qui joue en cheminant, et que je ne revenois à moi, que lorsque l’humanité, posant sa main sur mon sein, m’arrêtoit tout-à-coup, et me tiroit à part : j’étois alors dans mon fort. Nous exprimons bien ce que nous sentons vivement ; et, dans un pareil sujet, l’écrivain a une double énergie : il soulage son cœur, en plaidant pour les autres.
Je continuai cette rodomontade tout le long de mon ouvrage ; le papier s’entassoit sous ma main, quand je fis réflexion qu’il n’y avoit que sept merveilles au monde. En attendant, la nouveauté vieillissoit, et la bisarrerie perdoit de sa singularité : je m’en aperçus ; mais le moyen d’arrêter la vélocité d’une plume qui a pris son vol.
Je déterminai seulement de faire cesser les caracoles de mon dada ; je serai la gourmette ; et je m’apprêtai à tenir ma promesse au public, d’une manière plus posée et plus systématique. Me voilà à jeter sur mon papier, de grands sujets ; mais je n’ai pas eu le temps de les polir. Tant d’idées, tant de caprices passoient à travers ma cervelle pendant la composition, et repoussoient tellement tour-à-tour ces grands desseins, que je n’ai encore pu en former un seul volume, pour m’acquitter envers mes lecteurs.
Un de mes projets favoris étoit de composer un petit livret intitulé alphabet, à l’usage des jeunes gens de tous les états : ils devoient s’y instruire sur la manière d’agir et de parler dans les diverses occurrences de la vie.
Avouons-le à notre honte ; un pareil code nous manque encore. La nature, je le sais, a épuisé ses libéralités en faveur de...
En feuilletant mes manuscrits, j’y trouve que j’eus quelque envie jadis d’écrire mes mémoires.
Je me mis, en effet, à l’ouvrage avec l’intention la plus sérieuse et la plus stupide possible ; mais tout-à-coup le fantôme de l’imagination, et le phosphore de l’esprit brillèrent à ma vue, m’éblouirent et m’entraînèrent à travers les haies et les fossés, les ronces, les fondrières et les sables arides, pendant le cours de quatre volumes, avant que je me fusse avisé de me mettre au monde. Oui, la majeure partie de mon ouvrage étoit dépensée avant l’époque de ma naissance. Ah ! je le connoissois trop, ce monde, pour être tant désireux d’y arriver.
La bisarrerie et la nouveauté des premiers volumes exercèrent le goût capricieux du public : je fus applaudi et sifflé, défendu et censuré dans plus d’une page. Cependant, comme il y a, en un sens, plus de lecteurs que de juges, l’édition fut vendue, et, par conséquent, elle réussit. Cela m’encouragea, et je continuai avec le même ton d’insouciance, tout en chantant, et entouré d’une nombreuse audience, qui épioit la chute des feuilles que je lui jetois. Ce qui m’amusoit le plus, étoit ce nombre de lecteurs pénetrans, qui jugeoient que mes extravagantes lubies contenoient un sens mystique dont ils se targuoient de dévoiler la sublime profondeur à la fin de l’ouvrage.
Il y a plus encore : des jurés-experts devineurs d’énigmes prétendoient pouvoir suivre ma trace à travers chaque volume, sans perdre de vue, un seul moment, la connexion de mes phrases. Quels lynx ! quels enthousiastes ! avec quelle intelligence et quel avantage ces messieurs n’auroient-ils pas lu l’apocalypse ? la bête à sept têtes, le puits fumant et les sauterelles cuirassées n’auroient été qu’un jeu pour leur perspicacité.
Cependant j’ai la modestie d’avouer qu’il y a, par-ci, par-là, dans mon livre quelques passages intéressans.
In sterquilinio margaritam reperit.
J’y ridiculise quelques foiblesses : la charité et la bienveillance y sont toujours inspirées et recommandées : quelquefois, il est vrai, je cours les champs et les grands chemins, sans d’autre projet que celui de jouir du bienfait de l’air et de la liberté ; mais un objet de pitié se présente-t-il à moi, je l’offre aussitôt à la pitié publique.
C’est ainsi que je vaguois dans l’insouciance, aussi innocemment qu’un enfant qui joue en cheminant, et que je ne revenois à moi, que lorsque l’humanité, posant sa main sur mon sein, m’arrêtoit tout-à-coup, et me tiroit à part : j’étois alors dans mon fort. Nous exprimons bien ce que nous sentons vivement ; et, dans un pareil sujet, l’écrivain a une double énergie : il soulage son cœur, en plaidant pour les autres.
Je continuai cette rodomontade tout le long de mon ouvrage ; le papier s’entassoit sous ma main, quand je fis réflexion qu’il n’y avoit que sept merveilles au monde. En attendant, la nouveauté vieillissoit, et la bisarrerie perdoit de sa singularité : je m’en aperçus ; mais le moyen d’arrêter la vélocité d’une plume qui a pris son vol.
Je déterminai seulement de faire cesser les caracoles de mon dada ; je serai la gourmette ; et je m’apprêtai à tenir ma promesse au public, d’une manière plus posée et plus systématique. Me voilà à jeter sur mon papier, de grands sujets ; mais je n’ai pas eu le temps de les polir. Tant d’idées, tant de caprices passoient à travers ma cervelle pendant la composition, et repoussoient tellement tour-à-tour ces grands desseins, que je n’ai encore pu en former un seul volume, pour m’acquitter envers mes lecteurs.
Un de mes projets favoris étoit de composer un petit livret intitulé alphabet, à l’usage des jeunes gens de tous les états : ils devoient s’y instruire sur la manière d’agir et de parler dans les diverses occurrences de la vie.
Avouons-le à notre honte ; un pareil code nous manque encore. La nature, je le sais, a épuisé ses libéralités en faveur de...