« Cette affaire, dis-je, est mieux réglée en France. »
Vous avez été en France ? me dit le plus poliment du monde, et avec un air de triomphe, la personne avec laquelle
je disputois… Il est bien surprenant, dis-je en moi-même, que la navigation de vingt-un milles, car il n’y a
absolument que cela de Douvres à Calais, puisse donner tant de droits à un homme… Je les examinerai… Ce projet fait
aussitôt cesser la dispute. Je me retire chez moi… Je fais un paquet d’une demi-douzaine de chemises, d’une culotte
de soie noire… Je jette un coup-d’œil sur les manches de mon habit, je vois qu’il peut passer… Je prends une place
dans la voiture publique de Douvres. J’arrive. On me dit que le paquebot part le lendemain matin à neuf heures.
Je m’embarque ; et à trois heures après midi, je mange en France une fricassée de poulets, avec une telle certitude
d’y être, que s’il m’étoit arrivé la nuit suivante de mourir d’indigestion, le monde entier n’auroit pu suspendre
l’effet du droit d’aubaine. Mes chemises, ma culotte de soie noire, mon porte-manteau, tout aurait appartenu au roi
de France ; même ce petit portrait que j’ai si long-temps porté, et que je t’ai si souvent dit, Eliza, que j’emporterois
avec moi dans le tombeau, m’auroit été arraché du cou… En vérité c’est être peu généreux, que de se saisir des effets
d’un imprudent étranger, que la politesse et la civilité de vos sujets engagent à parcourir vos états. Par le ciel,
Sire, le trait n’est pas beau : je fais ce reproche avec d’autant plus de peine, qu’il s’adresse au monarque d’un peuple
si honnête, et dont la délicatesse des sentimens est si vantée par tout.
À peine ai-je mis le pied dans vos états…
Vous avez été en France ? me dit le plus poliment du monde, et avec un air de triomphe, la personne avec laquelle
je disputois… Il est bien surprenant, dis-je en moi-même, que la navigation de vingt-un milles, car il n’y a
absolument que cela de Douvres à Calais, puisse donner tant de droits à un homme… Je les examinerai… Ce projet fait
aussitôt cesser la dispute. Je me retire chez moi… Je fais un paquet d’une demi-douzaine de chemises, d’une culotte
de soie noire… Je jette un coup-d’œil sur les manches de mon habit, je vois qu’il peut passer… Je prends une place
dans la voiture publique de Douvres. J’arrive. On me dit que le paquebot part le lendemain matin à neuf heures.
Je m’embarque ; et à trois heures après midi, je mange en France une fricassée de poulets, avec une telle certitude
d’y être, que s’il m’étoit arrivé la nuit suivante de mourir d’indigestion, le monde entier n’auroit pu suspendre
l’effet du droit d’aubaine. Mes chemises, ma culotte de soie noire, mon porte-manteau, tout aurait appartenu au roi
de France ; même ce petit portrait que j’ai si long-temps porté, et que je t’ai si souvent dit, Eliza, que j’emporterois
avec moi dans le tombeau, m’auroit été arraché du cou… En vérité c’est être peu généreux, que de se saisir des effets
d’un imprudent étranger, que la politesse et la civilité de vos sujets engagent à parcourir vos états. Par le ciel,
Sire, le trait n’est pas beau : je fais ce reproche avec d’autant plus de peine, qu’il s’adresse au monarque d’un peuple
si honnête, et dont la délicatesse des sentimens est si vantée par tout.
À peine ai-je mis le pied dans vos états…